La vie était ainsi. Telle une brise matinale fraiche et portant l’odeur de la mer, soulevant délicatement les cheveux et qui donnait envie de rire. Un petit moment de paradis, de contempler le va et viens de la mer, qui, inlassablement viens s’abattre sur le rivage. Ne cesser de s’émerveiller de la beauté de cet océan, toujours présent. La douceur de l’eau sur les pieds.
Et puis, l’on grandit, on quitte le rivage pour s’enfermer dans les villes. On oublie l’effet du soleil sur la peau, et la caresse de l’océan sur les pieds. Tout est remplacé par un sentiment de vide, un sentiment de froid. Le vent est glacial, à vous geler les os, emmêlant les cheveux. On en oublie même peu à peu le couché du soleil sanglant sur l’eau, faisant briller celle-ci de milles éclats, comme des diamants.
Et le temps passe, on oublie jusqu’à la forme même du rivage, on oublie même le bruit sourd de l’eau, on oublie la forme de la maison. Il ne reste que des vastes réminiscences d’un temps révolu, destiné à être oublié. Jamais durant la vie, ne revint personne ici. Peu à peu, le paysage fut laissé à l’abandon.
Comme un paradis oublié, laissé à l’abandon. Délaissé de toute vie. Peu à peu la nature reprenant ses droits, le paysage reste, défiguré. Plus personne n’a foulé depuis des années le territoire oublié. Comme un lieux sans souvenirs ni histoire, reste le littoral abandonné.
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Aujourd’hui, j’ai déjà atteint l’âge de raison, ayant passé les 89 ans. Ma petite fille s’est proposée de faire une promenade dans la campagne. Je n’aime pas les promenades, et, habituée de la ville que je suis, la seule balade que je fais, c’est celle d’aller jusqu’au supermarché. Mais après tout, si c’est en voiture, pourquoi pas.
Et puis, roulant doucement pour observer le paysage, nous passons devant un lieu. Devant une petite chapelle, plus précisément. Elle est envahie par les plantes, mais je la reconnaît bien. La petite statuette au dessus de la porte, la couleur de la pierre, tout est resté intacte. Je demande à arrêter la voiture. Ma petite fille, étonnée, s’arrête quand même. Elle s’apprête à m’aider à descendre de la voiture mais je la repousse avec le coude.
« J’aimerais être seule un instant. »
Je m’avance, seule, sur le chemin. Je sais qu’elle me regarde, mais je n’y prête aucune attention. Peu à peu, mes muscles se délayent, mon pas se fait plus sur, comme si j’étais guidée par une force nouvelle. Je ne sais pas vraiment ou je vais, mais, peu à peu, des brides d’enfances me reviennent. Un passé bien enfouis, qui peine à réapparaitre.
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La matinée est belle, comme souvent en cette saison. J’ai quitté il y a déjà quelques temps la petite maison ou je vis avec ma maman. Je m’étais un peu perdue tout à l’heure mais je suis tombée sur la vielle voisine qui m’a gentiment indiquée le chemin de ma maison. A présent, je courais d’un pas assuré vers l’ouest. J’aime bien courir vers l’ouest, on a le vent de face, qui envoie voler mes longs cheveux blonds derrière moi. Et puis, le soleil dans le dos le matin, mon ombre est grande et belle.
Les oiseaux marins volent au dessus de moi, comme s’ils me suivaient dans ma course. Je fais encore quelques efforts, et je m’arrête brusquement. Je suis enfin arrivée. La petite crique que j’aime tant. J’ai les pieds en feu et le souffle court, mais je suis heureuse.
L’océan. L’immensité de ce bleu sombre sous mes yeux d’enfant. La beauté marine, le vent, joueur et heureux. Je ris. Cet endroit est si beau. Maman dit que j’ai de la chance, que bien des enfants ne voient pas tous les jours de tels spectacles sous leurs yeux. Je les plaint. Que peuvent-ils bien observer, eux qui n’ont pas de mer ? Le soleil disparaît-il ainsi, couvrant de milles reflets de diamant la plaine ?
Maman me parle souvent de la ville, je n’y suis jamais allée. Mais je ne veux pas y aller, comme ce doit être moche ! Pas de mer, pas de soleil, pas d’arbre . Comme ce doit être triste ! Pas de mouettes, pas de goélands, pas de sauterelles ni de crabes. Mais pourquoi des gens peuvent-ils vouloir vivre là-bas ? Papa y vit. C’est ce que maman a dit. Je n’ai pas vu papa depuis 4 ans. J’en ai aujourd’hui un peu plus de 7. Maman dit que c’est à cause du travail que l’on va là-bas. Mais maman travaille bien ici, et moi je vais bien à l’école du village.
Je descend la dune de sable et arrive enfin sur la plage. On ne peux pas parler de vrai sables, les grains sont trop gros. A la grande plage ils sont tout fins, ici ils sont plus gros et font un peu mal au pieds. Mais je m’en fiche. J’enlève mes chaussures et mes vêtements, restant en dessous en maillot de bain, et cours vers la mer. Arrivée à son niveau, je marque un temps d’arrêt. Je laisse la mer venir me lécher les pieds. C’est une sensation si agréable ... L’eau est froide, comme souvent malheureusement, mais cela ne m’empêche pas de me baigner entièrement.
Je ressort de l’eau et contemple une dernière fois la mer. Comme elle est belle ...
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Tout est resté, inchangé. La vielle maison est toujours la, et si j’y entrait, je suis sure que j’y trouverais encore les meubles. Ici pas un seul tag venait salir la façade le la maison. De ma maison. Une multitudes de souvenirs me revinrent, et je chancela un instant. Je marche, encore et encore, toujours vers le même endroit. Toujours vers l’ouest.
«
A little peace of heaven. »
A cet instant précis me reviens cette chanson. Elle passe souvent à la radio. Et ce sont les premiers mots auxquels je pense en contemplant ce paysage. C’est la fin d’après-midi, aussi le soleil achève-t-il sa course quotidienne. Il pare la mer de millions de diamants brillants, s’offrant à mes seuls yeux. Le gros sable est le même, il doit faire toujours mal aux pieds. J’enlève difficilement mes chaussures, et m’avance lentement vers la mer. Celle-ci viens me caresser les pieds. Un geste oublié depuis longtemps. Une larme roule sur ma joue comme un regret. Je m’avance dans l’océan froid et sombre. Je ne tremble pas. Je sais ce que je veux.